Un entretien avec Philippe Drobinski, directeur de recherche au CNRS, Laboratoire de météorologie dynamique (LMD), École polytechnique, IPSL, auteur de La météo … Ennemie ou amie de la transition énergétique ?, préface de Jean Jouzel, Edp Sciences, février 2025.

Votre livre explique comment la météo impacte la production et la consommation énergétique. En quoi affecte-t-elle la transition énergétique ?

Il faut rappeler avant tout que l’énergie est le principal contributeur du changement climatique par ses émissions de gaz à effet de serre : la production énergétique représente 35 % des émissions en France. Décarboner l’énergie par la transition énergétique est donc absolument essentiel.

La météo, le temps qu’il fait, a toujours été variable. Indépendamment du changement climatique, cette variabilité naturelle influence la production et la consommation énergétiques. Mais c’est aussi un facteur clé du développement des énergies renouvelables (EnR), un atout ou un obstacle selon la manière dont elle est gérée. Un atout, car elle détermine la quantité de vent et d’énergie solaire disponibles pour produire l’électricité. Un obstacle, car comme l’électricité ne se stocke pas, une production variable signifie qu’il faut activer des leviers de flexibilité pour assurer à chaque instant l’équilibre entre production et consommation électrique nécessaire au fonctionnement du réseau.

Néanmoins des solutions existent pour intégrer davantage de production renouvelable variable. Il s’agit tout d’abord d’identifier les zones où les ressources renouvelables sont favorables à l’installation de fermes éoliennes ou solaires, qui sont à ce jour les technologies les plus matures pour produire de l’électricité d’origine renouvelable. Il s’agit ensuite de bien prévoir la production éolienne et solaire pour anticiper les fluctuations et allumer ou au contraire arrêter les centrales électriques pilotables, comme les barrages hydroélectriques et les centrales nucléaires, ou si nécessaire des moyens de production plus carbonée comme les centrales au gaz.

Le caractère fluctuant de la production des EnR est un reproche constant qui leur est fait. Vous le confirmez donc ?

C’est une faiblesse qui contraint fortement le réseau électrique. Mais il ne faut pas s’y arrêter puisque le changement climatique nous oblige à développer une production électrique décarbonée et que des solutions existent pour intégrer davantage de production renouvelable variable, comme nous venons de le voir. Un mix décarboné combinant renouvelables et nucléaire est donc indispensable. Leur proportion respective est un sujet ouvert sur lequel il faut encore travailler. Néanmoins, ce mix devra être suffisamment flexible pour s’adapter aux variations et aux extrêmes météorologiques, et assurer le bon fonctionnement et la résilience du réseau. Les leviers de flexibilité sont nombreux, que ce soit par l’offre avec des capacités de production pilotable en réserve, ou par la demande avec l’effacement de certaines consommations. L’autoconsommation solaire donne également de la flexibilité car elle amène les usagers à ajuster leur consommation à leur production. Cette flexibilité nécessite une surveillance en temps réel de la production et de la consommation électriques que les compteurs électriques « intelligents » permettent dorénavant. Cette surveillance en temps réel permet une plus grande agilité du réseau électrique pour ajuster la production à la consommation électrique. Ces leviers doivent être combinés pour garantir un fonctionnement optimal du réseau avec une pénétration plus importante d’énergies renouvelables.

Les extrêmes météorologiques liés au changement climatique vont-ils contraindre davantage le réseau ?

La principale contrainte capable de mettre le système électrique en tension est la consommation énergétique, notamment en cas de vagues de froid et dans une moindre mesure avec les canicules et le recours à la climatisation. C’est déjà le cas et la contrainte va augmenter avec le changement climatique, qui augmente l’intensité et la durée les canicules sans supprimer les vagues de froid. Par ailleurs, les extrêmes météorologiques tels que les orages de grêle, les canicules, les inondations ou les tempêtes représentent un risque physique pour les infrastructures du réseau électrique (pylônes, câbles électriques, stations,…) et les centrales de production.

Avec des événements extrêmes plus fréquents en raison du changement climatique, la production doit être spatialement la plus diffuse possible sur le territoire pour rendre le réseau global résilient. S’il y a une inondation quelque part, le système électrique pourra continuer à fonctionner car on pourra produire ailleurs. Diversifier permet de créer de la résilience. Le changement climatique crée par ailleurs une grosse contrainte sur les ressources en eau. Le nucléaire en dépend en tant qu’énergie thermique qui nécessite du refroidissement. C’est aussi le cas pour l’hydroélectricité qui découle directement des réserves d’eau. Il est donc important de penser un mix électrique diversifié, reposant sur une production diffuse spatialement et sobre en eau.

Rapports en % entre les surfaces de toitures favorables à l’installation de panneaux photovoltaïques (c’est-à-dire dont le potentiel radiatif est supérieur à 1 000 kWh/m² par an) et les surfaces résidentielles habitables selon les données de l’APUR (Atelier parisien d’urbanisme).
Source : Q. Tao et al., 2025, https://doi.org/10.1016/j.scs.2025.106232

Comment les opérateurs prennent-ils en compte à la fois la météo et le changement climatique ?

Les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution de l’électricité, les producteurs d’électricité mettent en place des plans d’adaptation de leurs infrastructures au changement climatique et aux extrêmes plus fréquents et plus intenses qui en découlent. Ainsi l’adaptation des câbles électriques à un climat plus chaud et des canicules plus fréquentes, et leur installation, permettent de préparer le réseau électrique de demain. L’usage de la prévision pour anticiper les interventions nécessaires en cas de dégâts induits par des extrêmes climatiques permet également davantage de résilience dans un contexte de changement climatique.

La région francilienne est-elle particulièrement concernée par les liens entre météo et énergie ?

Pour le moment, l’Île-de France produit seulement 10 % de sa consommation d’énergie. Les EnR et la récupération d’énergie représentent moins de 8 % de cette consommation (voir le carnet « Changement climatique et transition énergétique en région Île-de-France »). La région, grosse consommatrice d’énergies fossiles (67 % de sa consommation) est très émettrice de gaz à effet de serre, avec 10 % des émissions nationales.

Néanmoins, son potentiel de production photovoltaïque est très important, notamment en périphérie de Paris. Un récent travail que nous avons mené au LMD, en utilisant les profils de consommation électrique et le potentiel de pose de panneaux photovoltaïques sur les toits des bâtiments, montre que 22,4 % de la consommation des secteurs résidentiels et commerciaux du grand Paris pourraient être couverts par la production photovoltaïque1 (voir la carte ci-dessus). De plus, le partage de l’énergie entre les secteurs résidentiels et commerciaux, entre centres-villes et périphéries, pourrait optimiser l’utilisation des surplus de la production photovoltaïque tout en renforçant la stabilité et la résilience du réseau électrique. Compte tenu de ce potentiel, la prévision météorologique et climatique aura donc un rôle important à jouer dans le développement régional de la production électrique par les renouvelables.

 

1 Q. Tao et al., 2025, Multiple-scale distributed PV potential penetration in a densely populated city: A case study of Grand Paris metropolis, Sustainable Cities and Society, 122, 106232, https://doi.org/10.1016/j.scs.2025.106232

 
Propos recueillis par Jean-Jacques Perrier

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