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Entretien avec Florence Habets

Florence Habets est directrice de recherche au CNRS, et professeure au Laboratoire de géologie de l’École normale supérieure.

 

  • Pouvez-vous présenter votre parcours et vos recherches ?

Je suis hydroclimatologue, je m’intéresse à la ressource en eau et à son évolution, principalement en France. Cette évolution temporelle est importante, parce que si l’on ne comprend pas son passé, on ne peut pas penser son futur. À la base, j’ai une formation en météorologie, où l’hydrologie est mise en lien avec l’atmosphère. Maintenant je me consacre à l’hydrologie liée à la ressource en eau et aux eaux souterraines. Ma formation me permet d’avoir une vision différente des hydrologues qui étudient les débits ou les crues, car j’ai aussi cette connaissance de l’atmosphère qui permet de faire le lien avec le climat plus facilement.

  • Qu’est-ce que cette approche apporte comme regard sur le changement climatique ?

Chez Météo France, nous avons fait des analyses météorologiques longue durée qui nous ont permis de nous rendre compte de l’importance de connaître l’évolution passée de la ressource en eau sur plusieurs décennies. Nous avons pu faire des analyses depuis 1958 et reconstituer les conditions météo au jour le jour depuis plus de soixante ans. Nous nous sommes rendu compte qu’il existe des variabilités naturelles très importantes, qui peuvent faire fluctuer la quantité d’eau qui s’écoule en rivière de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne, ce qui est loin d’être négligeable. L’ensemble du cycle dure environ soixante ans, c’est pour ça qu’il fallait regarder au-delà de cette durée pour se rendre compte de ces variabilités. Ces données nous ont permis de nous demander à quoi étaient dues ces variations. En reconstituant ces soixante années et en allant chercher des données plus vieilles encore, nous nous sommes aperçu que cette variabilité était liée à celles des pluies et des températures printanières, elles-mêmes liées à la circulation océanique et aux variations de température de l’Atlantique : c’est ce qu’on appelle la variabilité naturelle du climat, qui est mieux comprise maintenant.

C’est un phénomène qui apparaissait déjà dans des publications de 1930, mais qui a été complètement oublié. Il y a eu tout un tas de développements autour de la ressource en eau entre les années 1960 et 1980, qui n’ont pas du tout pris en compte ces fluctuations. Par exemple, le développement de l’irrigation s’est principalement fait dans les années 1970 à l’occasion de quelques périodes sèches, alors qu’avec le recul on peut dire que c’était une période de hautes eaux à l’échelle multi-décennale. Globalement, nous n‘avons pas bien anticipé les fluctuations naturelles pour la résilience des systèmes qu’on était en train de développer, et le changement climatique va venir ajouter un stress sur ce système. L’évolution de la ressource en eau qui y est liée est projetée à être du même ordre que celle de la variabilité multi-décennale, c’est-à-dire une diminution de 20-30 % – même si ça ne sera sans doute pas aussi fort sur le bassin de la Seine – qui se rajoute à cette variabilité naturelle qu’on a évaluée. Cela veut dire que les périodes sèches risquent de l’être vraiment plus puisque les deux signaux se superposent.

  • Est-ce que l’augmentation du risque de sécheresses avec le changement climatique concerne aussi l’Île-de-France ?

Aucune région n’échappera réellement à ce risque car il existe une variabilité saisonnière des précipitations et de leur occurrence. Par exemple, la durée des jours consécutifs sans pluie va probablement augmenter. Pour une même quantité de pluie, il y aura en moyenne plus de temps entre deux épisodes de précipitations, les rendant plus violents et augmentant le risque de sécheresse entre-temps. Aussi, on constate une baisse de l’humidité relative à l’échelle globale, c’est-à-dire qu’il y a moins de vapeur d’eau que ce que peut porter l’atmosphère, et ce déficit s’amplifie. Ce déficit est lié au fait que la température globale augmente, mais aussi à ce que la température de l’atmosphère augmente plus vite que celle des océans. Ils n’évaporent pas assez d’eau pour qu’elle soit accessible sur les continents. C’est une situation qu’il faudra affronter jusqu’à un retour de l’équilibre général. Ces évolutions ont de nombreuses conséquences, notamment sur la végétation qui tendra à transpirer davantage et à évaporer plus vite l’eau qu’elle collecte.

  • Nos usages sont-ils adaptés à cette baisse future de la ressource en eau ?

La ressource en eau varie très vite, mais elle varie aussi sur le temps long. Nous avons eu tendance à surestimer la quantité d’eau disponible en pensant qu’il suffisait d’extrapoler une moyenne faite sur dix ans. La variabilité plus importante par rapport à la moyenne sur les décennies n’était pas vraiment envisagée, donc la société s’est développée avec l’idée qu’il était possible d’utiliser une certaine quantité d’eau de manière relativement sûre, alors que ce n’est pas vrai. Maintenant, des villes limitent leur population par manque d’eau. Développer des villes ou des activités en fonction de cette ressource, ce n’est pas quelque chose qui se faisait beaucoup jusque-là, même si c’était déjà le cas pour le risque inondation.

 

La Seine, à Paris, début 2018. Crédits : DR

  • Le risque lié aux inondations est connu des Franciliens, qui font régulièrement face à des épisodes de crues. Comment ce risque va-t-il évoluer avec le changement climatique ?

Le même processus est à l’origine de l’augmentation de la fréquence des sécheresses et des précipitations plus intenses : un air plus chaud porte plus de vapeur d’eau, donc les pluies intenses le seront de plus en plus. La particularité du risque de l’inondation pluviale, c’est que la proximité à la rivière ne joue pas sur l’exposition à l’aléa. Ce n’est pas la rivière qui déborde, c’est l’eau qui ne parvient pas à s’écouler. C’est donc un risque assez différent de ce que l’on connaît aujourd’hui : ce n’est plus seulement les personnes à proximité d’une rivière qui y seront exposés, mais tout le monde, même ceux qui habitent sur une butte. Les villes sont conscientes de ce risque, la loi est faite pour qu’elles s’y adaptent, mais je pense qu’il n’est pas toujours bien intégré, notamment par les habitants qui n’ont pas tous conscience qu’ils peuvent être touchés.

  • Concrètement, quels impacts ces évolutions de la ressource en eau peuvent avoir sur l’aménagement dans une stratégie d’adaptation au changement climatique en Île-de-France ?

Une des particularités du bassin de la Seine est qu’il possède des nappes phréatiques très capacitaires, qui permettent à la fois de tamponner les crues et d’apporter de l’eau en période de basses eaux. Le problème, c’est que du fait de l’urbanisation, elles ont perdu en capacité de recharge, alors qu’elles constituent un atout réel. L’eau des nappes est de meilleure qualité qu’en rivière, elle est plus fraîche et elle est accessible directement sous nos pieds. Généralement, les villes ont enterré leur réseau d’eau, donc de nombreuses rivières coulent dans le sous-sol. La ville de demain sera davantage ce qu’on appelle une « ville-éponge », plus perméable à l’eau, pour permettre aux sols de se recharger quand il pleut et pour réduire les ruissellements qui amènent des polluants à la rivière. Il est aussi important de ralentir les flux pour réduire le risque de crues et pour aider l’eau à s’infiltrer. Une manière de faire serait de stocker l’eau en ville en mettant en place des petits lacs et des retenues, pas nécessairement permanents, mais qui pourront être en eau pendant l’hiver et s’assécher en été. Ce sont des choses qui se font déjà.

Beaucoup de villes se posent aussi des questions sur le type de végétation à planter, surtout sur les arbres, en essayant de voir quelles espèces sont compatibles avec la ressource de demain. Les arbres sont vus comme un moyen d’adaptation parce qu’en évaporant l’eau, ils rafraîchissent la ville. Or, pour que ce principe fonctionne, il faut qu’il y ait de l’eau à la base, donc une question se pose : est-ce qu’il y en aura ? Cela implique de questionner nos priorités. En France, les utilisations prioritaires pour la ressource en eau, dans l’ordre décroissant, sont d’abord l’eau potable, puis l’entretien des milieux, et en troisième les usages. Dans les pays arides, l’eau potable est aussi en première position, mais la survie des arbres suit, et le milieu vient seulement en troisième. La survie des arbres, en France, ça n’est pas encore un enjeu très marqué pour l’instant, même si avec les récentes sécheresses on a constaté la surmortalité dans les forêts. C’est déjà vu comme un problème, mais on a du mal à voir son ampleur à venir. On pourrait totalement revoir les priorités, parce qu’entre un géranium et un arbre, il y en a un qui est plus facile à obtenir que l’autre. Plus généralement, il va falloir prioriser certains enjeux au détriment d’autres, car on ne peut pas tout faire. Par exemple, en région parisienne, il y a des bâtiments qui sont refroidis en puisant l’eau de la Seine, créant un double problème : il faut qu’il y ait suffisamment d’eau, et qu’elle ne soit pas trop chaude. Or, moins il y a d’eau dans un cours d’eau, plus elle a des chances d’être chaude. Ainsi, si la rivière manque d’eau, ces activités ne seront pas efficaces.

  • Y-a-t-il d’autres facteurs à prendre en compte lorsque l’on considère la gestion de la ressource en eau ?

L’approche climatique est très pertinente, mais l’impact humain est beaucoup plus vaste. Il ne faut pas oublier la qualité de la ressource en eau, notamment si l’on s’intéresse à sa potabilité. En météorologie, l’eau n’a pas de qualité, mais lorsqu’on étudie l’eau d’un bassin versant, sa qualité a un fort impact sur ses usages. En France, énormément de points de prélèvement en eau potable ont été fermés à cause de la pollution aux nitrates, donc il ne faut pas regarder que l’aspect quantitatif brut. Même si la qualité des eaux de surface s’est améliorée par rapport aux gros épisodes de pollution ponctuelle que le système connaissait il y a quarante ans, on continue aujourd’hui d’accumuler un tas de polluants qui auront un impact sur le long terme.

  • La situation s’est-elle améliorée dans les dernières décennies ? À quels types de pollutions sommes-nous confrontés aujourd’hui ?

Le système est toujours pollué par des produits qui ont été interdits voilà dix ans, certains ne commencent à atteindre les nappes phréatiques que maintenant, ou ne sont mesurés que depuis peu. On risque d’aller vers des situations problématiques. Le taux de transfert des polluants est assez long, notamment vers les nappes, et même dans les sols des polluants sont en circulation. Le problème, c’est l’accumulation de produits. Les agences de l’eau prélèvent régulièrement plus de 400 molécules différentes dans l’eau. Chacune possède un seuil de potabilité, et le cumul de ces molécules aussi. Pour calculer le cumul, toutes les molécules ne sont pas mesurées à chaque fois, donc il est forcément sous-estimé. Il est possible que certaines soient plus détectées en période de hautes eaux à cause de la circulation des polluants dans le sol et inversement. Tout ça n’est pas forcément très clair aujourd’hui. Il y a vraiment une menace à maintenir cette pollution. Par ailleurs, il est important de limiter au maximum les accidents industriels. Je dis cela parce qu’il y a eu un certain nombre de politiques visant à réduire les contrôles dans les usines, donc on s’attend à une potentielle augmentation du risque d’accidents.

  • Que pensez-vous des technologies de dépollution comme solution à ce problème ?

La première chose, c’est d’arrêter de polluer. Les méthodes de dépollution coûtent souvent plus cher que d’éviter de polluer à la base, et éliminer une pollution prend beaucoup de temps, notamment dans les sols. En fonction du polluant et de l’élément à dépolluer, on arrive rarement à tout éliminer. On est tous dépendants d’une histoire qu’il faut intégrer. Comprendre que nous allons influencer les états futurs de l’eau et agir en conséquence est essentiel.

 

 

Propos recueillis par Marion Barbé

 

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