Par Gilles Pison, démographe, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), et Françoise Vimeux, climatologue, Institut de recherche pour le développement (IRD)

18 octobre 2024

Quel est l’état actuel et à venir de la croissance démographique ?

La population mondiale compte 8,2 milliards d’habitants en 2024. Elle pourrait croître encore de deux milliards d’ici le milieu des années 2080 en raison de naissances plus nombreuses que les décès (1). La croissance démographique mondiale décélère cependant : elle était supérieure à 2 % par an dans les années 1960, de 0,9 % en 2024, et devrait continuer de baisser dans les prochaines décennies en raison de la diminution de la fécondité : 2,25 enfants en moyenne par femme dans le monde en 2024, contre 3,3 en 1990 et 5 enfants dans les années 1960.

Parmi les régions du monde dans lesquelles la fécondité est supérieure à 2,5 enfants même si elle baisse comme partout, on trouve en 2024 presque toute l’Afrique, une partie du Moyen-Orient et une bande en Asie allant du Kazakhstan au Pakistan et à l’Afghanistan. C’est dans ces régions que se situera l’essentiel de la croissance démographique à venir. En particulier la population de l’Afrique pourrait passer de 1,5 milliard d’habitants en 2024 à 3,8 milliards en 2100.

La croissance de la population est-elle en cause dans le changement climatique ?

La dégradation de l’environnement, à commencer par l’érosion de la biodiversité, est essentiellement due aux activités humaines. Ces dernières sont entièrement responsables du changement climatique (2). Cependant, les pays, et dans chaque pays les individus, n’ont pas tous la même responsabilité dans la genèse des causes de cette dégradation. En 2021, si l’on considère les émissions territoriales de CO2 issues de la combustion des énergies fossiles et de l’industrie, un habitant aux États-Unis émet environ trois fois plus qu’un Français, deux fois plus qu’un Chinois, sept fois plus qu’un Indien et quinze fois plus qu’un Africain. En Afrique, si l’on se concentre sur les pays affichant une croissance démographique forte, comme le Niger et l’Ouganda, un habitant émet environ 50 fois moins de CO2 qu’un Français, et 150 fois moins qu’un Américain (3). Les pays les plus émetteurs se trouvent parmi certaines pétromonarchies du Golfe : un Qatari émet en moyenne 400 fois plus de CO2 qu’un habitant des pays africains sus-cités.

Les émissions « importées » accentuent ce différentiel : l’empreinte carbone des pays importateurs nets d’objets manufacturés, dont les États-Unis et l’Union européenne, augmente d’autant, alors que celle des exportateurs nets, comme la Chine ou l’Inde, diminue. Ainsi, en 2021, les émissions de 4,5 t de CO2 par an d’un Français (chiffre incluant toutes les sources de CO2 et le changement d’usage des terres) passent à environ 9 tonnes si l’on tient compte de tous les gaz à effet de serre (GES) et des importations.

De plus, à l’intérieur d’un pays, une partie importante des émissions est imputable à une petite minorité. Les dernières études scientifiques analysées et synthétisées dans les derniers rapports du GIEC estiment que 10 % des ménages les plus riches sont responsables de plus de 45 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, tandis que 50 % des ménages les plus pauvres contribuent pour moins de 15% (4). Ce n’est donc pas la taille d’une population qui détermine le niveau des émissions d’un pays mais son mode de vie et de consommation (5).

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Quel est l’indicateur pertinent des liens entre démographie et changement climatique ?

La responsabilité des pays très peuplés tels que la Chine et l’Inde dans le changement climatique est souvent pointée du doigt. Cependant, le changement climatique est dû au cumul des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.  Historiquement, ces pays ont une responsabilité moindre que celle des pays industrialisés depuis la révolution industrielle. Au palmarès des pays historiquement responsables, les États-Unis occupent la première place avec une contribution aux émissions cumulées mondiales depuis 1750 de 25 % (6). Suivent l’Europe des 27 (17 %), la Chine (14 %) et la Russie (7 %), tandis que la contribution du continent africain est de 4 %. Sans dédouaner la Chine et l’Inde de leurs responsabilités, le volume d’émissions de GES par habitant est un indicateur plus pertinent que le volume d’émission de GES d’un État pour quantifier sa contribution au climat aujourd’hui : les pétromonarchies du Golfe, puis les États-Unis, le Canada, la Russie et l’Australie figurent alors en tête.

Il est donc important de faire en sorte que les pays pauvres puissent poursuivre leur développement socioéconomique de manière décarbonée, c’est-à-dire sans suivre la trajectoire des pays riches, ce qui éloignerait encore plus l’humanité de la neutralité carbone (7). Le défi est d’autant plus grand que la population de beaucoup de pays du Sud augmentera dans les prochaines décennies, comme nous l’avons vu. Leur développement écologique nécessitera de mettre en place une solidarité internationale, notamment pour qu’ils disposent de fonds pour s’adapter au changement climatique en cours. Ce sujet fait l’objet d’âpres négociations lors de chaque conférence des parties (COP).

Emissions par habitant de CO2 issues des combustibles fossiles et de l’industrie, en 2022.
Le changement d’usage des sols n’est pas inclus.

Sources : Global Carbon Budget (2023) ; Population based on various sources (2023). OurWorldinData.org/co2-and-greenhouse-gas-emissions | CC BY

Faut-il ne plus faire d’enfants ?

Certains pays ont des politiques visant à augmenter ou à diminuer le nombre de naissances. Toutefois, leurs effets sur la fécondité sont en général modestes voire inexistants. Pour certaines personnes, l’action écologique individuelle la plus efficace serait de renoncer à mettre au monde des enfants. Une étude de 2017 a ainsi estimé qu’avoir un enfant de moins réduirait l’empreinte carbone annuelle de près de 60 tonnes d’équivalent CO2 (cette unité prend en compte tous les GES, en incluant les émissions annuelles liées à la consommation de l’enfant pendant toute sa vie, mais aussi celles de sa descendance), contre 2,5 tonnes en laissant sa voiture à essence, 1,7 tonne en renonçant à un vol transatlantique, etc. (8). Cette interprétation est erronée : on ne peut comparer une consommation instantanée (un vol transatlantique) avec une consommation s’étalant sur des dizaines d’années (9).

La vraie question, celle dont dépend la survie de l’espèce humaine à terme, est moins celle du nombre de personnes que celle de leurs modes de vie.

Peut-on modifier la croissance démographique pour réduire nos impacts ?

Il est illusoire de penser pouvoir agir sur le nombre d’humains à court terme, donc de pouvoir réduire par ce biais nos impacts. Si la baisse de la fécondité est en cours partout dans le monde, il n’en résulte pas une diminution immédiate de la population en raison de l’inertie démographique : la population mondiale comprend en effet encore beaucoup d’adultes en âge d’avoir des enfants, nés lorsque la fécondité était encore forte, ce qui entraîne un nombre élevé de naissances. Les personnes âgées ou très âgées sont en revanche peu nombreuses à l’échelle mondiale et le nombre de décès est faible (10). La réduction de l’empreinte carbone liée à la baisse de la fécondité ne peut donc pas être immédiate.

Quelles sont les conséquences du changement climatique sur les populations ?

Les risques liés aux changements environnementaux sont très inégalement partagés à l’intérieur des pays et entre pays. Par exemple, la montée du niveau des mers, qui est passée en moyenne de 1,5 mm par an au XXe siècle à près de 5 mm par an aujourd’hui (11), va continuer de s’accélérer. Le niveau des mers pourrait atteindre 65 cm de plus qu’en 1900 à l’horizon 2100 étant donné la trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre sur laquelle nous nous plaçons actuellement (12). La part importante de l’humanité qui vit dans la bande côtière située à moins de 10 mètres d’altitude — estimée à 1 milliard de personnes d’ici 2050 (13) — est ainsi exposée aux submersions marines. Parmi ces populations côtières, les pauvres sont les plus vulnérables puisqu’ils vivent dans des habitations plus exposées et que leur mobilité est réduite par rapport aux ménages plus riches qui ont les moyens de se déplacer et savent où se réfugier en cas de submersion, comme on l’a observé en 2005 lors de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans.

L’exposition et la vulnérabilité des populations côtières varient également entre pays selon leur niveau de richesse (14). Bien qu’un quart de leur territoire soit situé sous le niveau de la mer, les Pays-Bas semblent bien armés pour s’adapter à son élévation grâce à des investissements massifs de protection du littoral et de gestion des cours d’eau (15). En revanche, le Bangladesh, dont une partie importante du territoire est également menacée par les eaux, est démuni et bien plus vulnérable face aux conséquences du changement climatique. De même, face au risque cyclonique grandissant, les États-Unis sont davantage armés qu’un pays comme le Mozambique pourtant extrêmement exposé à ce risque.

Le sentiment d’être exposé pourrait-il avoir à terme un effet sur la fécondité au niveau individuel ? Pour l’heure, la baisse de la fécondité observée au Bangladesh et dans d’autres pays a peu à voir avec les effets du changement climatique. Cependant, la question reste ouverte. Concernant l’« éco-anxiété », qui semble grandir dans les pays les plus avancés, elle ne semble pas jouer dans la faible fécondité observée dans de plus en plus de pays (16).

Quels sont les effets de la hausse des températures sur la mortalité ?

Jusqu’à présent, la hausse des températures moyennes sur Terre ne s’est pas accompagnée d’une hausse de la mortalité. Au contraire, la mortalité continue de baisser dans tous les pays du monde (à part dans ceux connaissant des guerres civiles). Pour ce qui est de l’avenir, on ne dispose pas de résultats solides permettant d’annoncer des hausses de mortalité dans le futur, pays par pays, en raison de la poursuite des hausses de température. Les projections du programme Human Climate Horizons (HCH) des Nations Unies prédisent une augmentation de la mortalité prématurée dans les pays où les vagues de chaleur seront intenses et prolongées, notamment au Moyen-Orient, en Afrique tropicale et en Asie du Sud-Est, surtout si des conditions extrêmes d’humidité sont concomitantes. En revanche, une baisse de la mortalité pourrait être observée dans d’autres pays, par exemple en France, par suite du déclin de la mortalité liée au froid (17).

Références

(1) United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division, 2024, World Population Prospects 2024: Summary of Results. UN DESA/POP/2024.

(2) GIEC, 2021, Changement climatique 2021, Les bases scientifiques physiques, Contribution du Groupe de travail I au sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, résumé à l’intention des décideurs.

(3) Service des données et études statistiques (SDES), 2022, Chiffres clés du climat. France, Europe, Monde, Paris, Ministère de la Transition écologique, 88 p. ; Ritchie H., Rosado P., Roser M., 2023, Per capita, national, historical: how do countries compare on CO2 metrics?, Our World Data.

(4) Voir page 44 du rapport complet, IPCC, Climate Change 2023, Synthesis Report, Contribution of Working Groups I, II and III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Summary for Policymaker ; Long Report

(5) L’âge joue aussi, mais de façon secondaire.

(6) Service des données et études statistiques (SDES), 2023, Chiffres clés du climat France, Europe et Monde, Paris, Ministère de la Transition écologique, p. 38.

(7) United Nations, 2022, The closing window. Climate crisis calls for rapid transformation of societies.

(8) Wynes S. et Nicholas K., 2017, The climate mitigation gap: education and government recommendations miss the most effective individual actions, Environmental Research Letters, vol. 12.

(9) Pont E., 2022, Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? Entre question de société et choix personnel, Paris, Payot, 320 p.

(10) Pison G., 2023, Atlas de la population mondiale, Paris, éditions Autrement, 3e édition, 96 p ; United Nations, 2024, Op. cit.

(11) GIEC 2021, Op. cit.

(12) NASA, 2021, Sea Level Projection Tool, NASA Sea Level Change Portal.

(13) IPCC (GIEC), 2022, Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability, Working Group II contribution to the IPCC Sixth Assessment Report.

(14) Magnan A.K. et al., 2022, Sea level rise risks and societal adaptation benefits in low-lying coastal areas, Scientific Reports, 12, 10677.

(15) National Delta Programme 2023 ; World ecocomic Forum, Here’s how sea level rise is threatening even the most prepared countries, 31 mars 2023.

(16) Pison G., 2023, Changement climatique : la « faute » à la surpopulation ?, Informations sociales, n°211, p. 33-44.

(17) Ritchie H, 2024, How many people die from extreme temperatures, and how this could change in the future: Part two, Our World Data.

Pour en savoir plus

Pison G., 2023, Changement climatique : la « faute » à la surpopulation ?, Informations sociales, n°211, p. 33-44.

Deuster C. et al., 2023, Demography and climate change, EUR 31512 EN, Publications Office of the European Union, Luxembourg.

Evans H., Larsen J., 2024, The Connections Between Population and Climate Change, Population Connection, Washington, D.C.

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